Le mois dernier, je vous racontais ma première reconversion de 1989 dans l’Antiquité de prestige.
L’ennui, nous le savons tous, est le plus efficace des moteurs. En 1994, je fini par me lasser de la
galerie d’antiquité et des prestigieux salons d’antiquaires de toutes les grandes villes de France qui
m’avaient tant émerveillée. J’avais découvert sur certaines expositions des meubles et décors peints
d’époque XVIIIème et j’étais en pamoison devant ces réalisations d’un autre temps. Je ne pensais
plus qu’à en faire mon métier ! Mais comment faire ?
Il faut, pour comprendre mes débuts, imaginer un monde sans internet, sans tuto et sans formation
professionnelle au métier de peintre sur mobilier qui était venu allonger la liste des métiers disparus
bien avant ma naissance ! De plus, je m’étais installée dans un tout petit village du Haut Var,
Pourrières, où je ne connaissais absolument personne parce que j’y avais trouvé ma première
maison-atelier.
Les livres sur l’Histoires des styles, achetés en 1989 qui m’avaient tant aidée pour ma première
reconversion étaient devenus mes adversaires en 1994 ! Ils ne parlaient que de recettes anciennes.
Au fil de mes nouvelles lectures, cette multitude de secrets de fabrication de peinture pour mobilier
à base de bave de crapaud et pistil de perce-neige (c’est une caricature !), assombrissaient de plus en
plus mon avenir professionnel. Mes essais restaient infructueux. Le décapage ne se passait pas trop
mal car j’avais vu les ouvriers de Bernard Scuoppo Musso décaper des commodes en marqueterie
XVIIIème et remettre le bois à nu mais ils ne les peignaient pas ! Une fois cette étape terminée,
chaque fois ou presque que je déposais sur le bois mes peintures fabriquées selon la recette x ou y, la
couche se teintait de tâches de couleur brune ou rosé ou des cloques apparaissaient… La peinture
vinylique achetée en ville, pour essayer, avait à peu près la même réaction (l’acrylique existait peu ou
pas). Mon atelier n’était plus que le laboratoire d’une triste sorcière dont aucune production n’était
visible, faute d’être présentable ! Quel désespoir !
Il faut comprendre qu’aux XVIIème, XVIIIème et XIXème siècle, l’ébéniste savait que le meuble allait
être peint avant de le fabriquer. La finition se faisait donc sur bois brut et vierge qui avait été choisi
et éventuellement traité en fonction (suppression des tanins et résines pour les résineux). Le Peintre
sur mobilier, de nos jours travaille à 95% sur des meubles qui ont été peints, teintés, vernis, cirés, sur
bois massif ou en placage collé avec des colles animales ou chimiques. Même sur un bois décapé, il
reste des micro-résidus de la toute première finition qui nécessitent un blocage parfait des fonds, ce
que ne peut pas faire à 100% une peinture naturelle qui est aqueuse et beaucoup trop poreuse. Que
dirait le placage d’un meuble vintage après le quatrième ou cinquième passage (absolument
nécessaire) d’une peinture à la colle de peau qui est quasi-liquide et chauffée à 40 ou 50 degrés ? Je
vous laisse deviner !
C’est le BTP qui m’a finalement sauvée ! Un peintre en bâtiment du village, très étonné que j’achète
mes produits au magasin de bricolage du coin, m’emmena chez son fournisseur à Aix en Provence. Ce
dernier me questionna : Qu’utilisez-vous comme couche d’impression ? Je répondais vaguement « ça
dépend… » tout en me demandant franchement de quoi il parlait !! Vous n’en revenez pas, chers
lecteurs ? Vous voyez : je partais de loin ! Il me proposa une impression glycéro en me vantant sa
grande capacité à bloquer les fonds et me présenta sa fiche technique… Au plus il entrait dans le
détail, au mieux je comprenais enfin tous les problèmes que j’avais eu avec mes essais. Alors qu’il
parlait, j’essayais de garder un air « entendu » de grande professionnelle alors que tout se bousculait
dans ma tête et que je n’avais qu’une hâte, rentrer à l’atelier pour essayer cette peinture miracle que
je devrais mettre « avant » mes couleurs si j’avais bien compris ! J’avais enfin la base des règles de l’art : une couche d’impression, deux couches de finition et surtout, respecter les temps de recouvrabilité !!!!! Aujourd’hui encore, je n’utilise jamais un produit sans voir lu sa fiche technique.
Finalement, ma carrière a pu commencer et c’est à ce monsieur que je le dois ! Il ne me restait plus
qu’à apprendre à restaurer les meubles avant de les décorer, fabriquer des couleurs, réaliser des
décors, créer des effets de matière, inventer des patines, protéger mon ouvrage, trouver le matériel
adéquat et des clients qui ne me diraient pas, comme les gens du village « Quel péché d’avoir peint
un si beau bois ! ». Beaucoup de travail encore mais je tenais le bon bout !!
Pour rendre justice aux « recettes anciennes » que j’ai un peu malmenées précédemment, voici la
photo d’un chantier de restauration de gypseries dans le Château de Pourcieux (83). Elles étaient
fendues, cassées ou disparues et j’ai pu toutes les reconstituer grâce à la parfaite mise en application
des techniques du « gros blanc » à main levée pour les sculptures et du moulage pour les kilomètres
de moulures manquantes. Le talentueux chauleur professionnel Georges Orione, le plus connu de
l’époque dans notre belle Provence, a ensuite fait une superbe peinture à la chaux en deux tons qui
n’aurait pas tenu sur des sculptures reconstituées avec des résines actuelles.
A bientôt pour ma troisième reconversion… toujours dans le mobilier, bien sûr !
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